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Doctrine Sociale de l'Eglise - Actualités et Innovations

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Doctrine Sociale de l'Eglise - Actualités et Innovations Empty Doctrine Sociale de l'Eglise - Actualités et Innovations

Message par Her Ven 24 Juin - 7:50

http://www.daoudal-hebdo.info/Daoudal_Hebdo/Conferences/
Entrees/2010/11/18_Doctrine_sociale_de_lEglise_reference_incantatoire_ou_source_de_creativite.html

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Doctrine sociale de l’Église : référence incantatoire
ou source de créativité ?

Doctrine sociale de l’Église : référence incantatoire ou source de créativité ?

Conférence donnée par Yves Daoudal
à l’université d’été de Centre Henri et André Charlier
et de Chrétienté-Solidarité, en août 2006 à Sienne.

(Disponible en Haute Definition sur CD auprès de l’AGRIF)

Nous sommes le 25 août. C’est le jour de la fête de saint Louis, parce qu’il mourut le 25 août 1270, il y a 740 ans, à Tunis. Et, sans vouloir empiéter sur les prérogatives cléricales, je pense que tout à l’heure nous aurons la messe de saint Louis. Ce 25 août est aussi le jour anniversaire de la lettre Notre charge apostolique, de saint Pie X. Il y a exactement 100 ans, saint Pie X envoyait cette lettre, en français, aux évêques de France. C’est la « lettre sur le Sillon », et ceux parmi vous qui lisent Présent ont pu lire une importante série d’articles de Jean Madiran sur cet anniversaire.

Ce n’est évidemment pas par hasard que saint Pie X a daté sa lettre du 25 août. L’allusion implicite à saint Louis est en rapport direct avec le paragraphe le plus célèbre de la lettre, qui dit ceci :
« Non, Vénérables Frères, – il faut le rappeler énergiquement dans ces temps d’anarchie sociale et intellectuelle où chacun se pose en docteur et en législateur, – on ne bâtira pas la cité autrement que Dieu ne l’a bâtie ; on n’édifiera pas la société, si l’Église n’en jette les bases et ne dirige les travaux ; non, la civilisation n’est plus à inventer, ni la cité nouvelle à bâtir dans les nuées. Elle a été, elle est ; c’est la civilisation chrétienne, c’est la cité catholique. Il ne s’agit que de l’instaurer et la restaurer sans cesse sur ses fondements naturels et divins contre les attaques toujours renaissantes de l’utopie malsaine, de la révolte et de l’impiété : omnia instaurare in Christo. »

L’apogée de la civilisation chrétienne, en France, c’est le règne de saint Louis. C’est le XIIIe siècle, que l’on a appelé le « siècle d’or de saint Louis », ce qu’il fut sur le plan économique et monétaire, politique, culturel, intellectuel et religieux. C’est sous le règne de saint Louis que sont bâties les cathédrales d’Amiens, Rouen, Beauvais, Auxerre, et la Sainte-Chapelle. La Sorbonne est l’université la plus prestigieuse de la chrétienté. On y voit saint Thomas d’Aquin, saint Albert le Grand, saint Bonaventure, Duns Scot, Dante, etc.

Saint Louis est le roi qui rend la justice sous son chêne, sans faire acception de personnes, et qui dans son testament exhortera son fils en ces termes : « Si un pauvre a querelle contre un riche, soutiens le pauvre plus que le riche jusques à temps que la vérité soit éclaircie. » C’est ce qu’on appelle aujourd’hui l’option préférentielle pour les pauvres. Et il va encore plus loin : « Si quelqu’un a querelle contre toi, sois toujours pour lui et contre toi jusque l’on sache la vérité. Car ainsi jugeront les conseillers plus hardiment selon droiture et selon vérité. » Sa réputation de justice est telle qu’on l’appelle comme arbitre un peu partout en Europe pour régler les querelles entre les princes.

En 1263, il prend une ordonnance stipulant que la monnaie royale est la seule à avoir cours dans tout le royaume, et que les barons ont interdiction de l’imiter. Et il installe une commission de contrôle des comptes royaux, qui deviendra la Cour des comptes. En 1268, il fait enregistrer et codifier par le prévôt de Paris, Etienne Boileau, les métiers de Paris. C’est le fameux Livre des métiers, qui est une mine pour les historiens, et qui décrit par le menu ce qu’est, sur le plan du travail, une chrétienté.

En 1879, le service historique de la Ville de Paris publia à l’Imprimerie nationale ce Livre des métiers. Il avait déjà été publié quelque 40 ans auparavant, mais cette fois il s’agissait d’une édition scientifique, réalisée par deux chartistes, munie d’une introduction de quelque 150 pages, de notes, d’index, etc. Il y avait aussi un avant-propos de 18 pages, d’un certain L. M. Tisserand, qui paraît avoir été le grand historien de Paris dans la seconde moitié du XIXe siècle.

Il écrit ceci, qui est très remarquable pour le sujet qui nous réunit :
« Pour que les jurés des communautés ouvrières invoquassent, sous le règne de saint Louis, des règlements remontant à Charles Martel, il fallait évidemment que les origines de ce régime fussent considérées comme fort anciennes, que cet état de choses se fût introduit par degrés, et qu’on ne pût lui assigner une date positive. C’est là le caractère propre des institutions qui dérivent des besoins et des mœurs, et qui sont d’autant plus inséparables de l’état social qu’elles ont pénétré plus insensiblement dans les esprits. »

Et voici comment il décrit la vie ouvrière de l’époque, telle qu’elle ressort du Livre des métiers :
« En entrant dans la communauté par la porte de l’apprentissage, le jeune ouvrier y rencontrait tout d’abord des devoirs de diverse nature, mais il y trouvait aussi des droits, c’est-à-dire des coutumes ayant force de loi ; c’était là son livret et son code. Soumis à l’autorité du maître, mais placé en même temps sous l’aile maternelle de la maîtresse et bénéficiant des conseils du premier valet, il avait déjà, sans sortir de la maison patronale, de très sérieuses compensations. Au dehors, les garanties se multipliaient ; il se sentait plus fort encore ; membre d’une Communauté ouvrière qui était quelque chose par elle-même et qui comptait dans le vaste syndicat des Corporations, il se savait appuyé, défendu, et il l’était en effet, comme l’homme d’Eglise se sentait soutenu par l’évêque, l’homme de loi par le Parlement, et le clerc par l’Université.

« De son patron, l’homme de travail allait hiérarchiquement aux jurés de la Corporation, puis au prévôt de Paris et aux grands officiers de la couronne, maîtres et protecteurs de certains métiers ; enfin il pouvait remonter jusqu’au roi lui-même, chef suprême de cette société féodale où le travail avait su se faire ne place. (…)

« Les maîtres possédaient un métier à eux, un atelier qui leur appartenait, parce qu’ils l’avaient acheté ou reçu de leur père. Les valets aspiraient paisiblement à la maîtrise, afin de devenir, quand ils l’auraient obtenue, chefs à leur tour, en épousant la fille ou la veuve du patron. Les apprentis avaient la même perspective en suivant la même filière. C’était une ascension lente, mais sûre, qui faisait, avec le temps, des citoyens et peuplait les villes d’hommes d’autant plus libres qu’ils ne devaient leur indépendance qu’à eux-mêmes. Réunis dans leurs chambres syndicales, alors que la maison commune rurale n’était pas encore née, ces hommes délibéraient sur les choses des Métiers, comme les bourgeois le faisaient au Parloir, les magistrats au Parlement et les gens du roi en la Chambre du Conseil. Qui ne voit qu’il y avait là tout un apprentissage de la vie publique, toute une préparation aux institutions modernes, que nul n’entrevoyait encore dans l’ordre politique ? »

La description que fait L. M. Tisserand des corporations – et encore ce n’est là qu’un aperçu – pourrait laisser croire qu’il s’agit d’un réactionnaire, d’un monarchiste. Mais pas du tout, comme on le voit par la dernière phrase que j’ai citée. La Révolution, qui a aboli le système corporatif, « est venue à son heure et a réalisé à son tour un incontestable progrès », poursuit-il. Mais voilà que, aussitôt, il explique qu’il serait bon de retrouver, je cite, « les qualités essentielles et les vertus intrinsèques de ce régime, parce que les unes et les autres tiennent au principe d’association, qui est le correctif de la faiblesse individuelle ».

Et le voilà qui brosse ensuite le sombre tableau d’une époque où les relations entre patrons et ouvriers se sont dissoutes et se sont muées en antagonisme, où « les uns et les autres se deviennent indifférents, quand ils ne sont pas réciproquement hostiles ».

« Dans le système contemporain, dit-il, le principe de la liberté a produit l’individualisme, avec ses initiatives et ses responsabilités, avec ses chances de succès et ses possibilités de fortune pour quelques-uns, mais aussi avec ses isolements, ses faiblesses et ses gênes pour le plus grand nombre. »

Et le voilà qui, invoquant l’autorité anonyme des « économistes les plus avancés », se félicite de l’existence des prud’hommes, de la création récentes de chambres syndicales, et, ajoute-t-il, « les sociétés de secours mutuels et les caisses de retraite pour la vieillesse ont remplacé la “boîte” des anciennes corporations ouvrières ; les sociétés coopératives forment un capital collectif en faveur de ceux qui n’ont pas « de coi achapter le mestier », comme on disait au temps d’Etienne Boileau ; d’autres institutions, en préparation ou en projet, témoignent de la vitalité de ce régime que les économistes de 1776 ont bien pu abolir, mais qui a survécu à sa ruine, au moins dans ce qu’il avait de plus juste et de plus généreux. »

En fait il ne s’agit pas de survivance. Car la Révolution, que L.M. Tisserand fait remonter en l’occurrence aux édits de Turgot, n’a rien laissé subsister du régime des corporations. La loi autorisant les syndicats professionnels ne verra le jour qu’en 1884, cinq ans après. Ce que Tisserand voit se reconstituer, c’est par l’action opiniâtre des catholiques sociaux. L.M. Tisserand n’y fait pas la moindre allusion, mais on comprend pourquoi. Il écrit en 1879, pour l’Imprimerie nationale, or ce sont les « républicains » qui sont au pouvoir, et c’est Jules Ferry qui est ministre de l’Instruction publique.

Ce travail des catholiques sociaux, tant en ce qui concerne la dénonciation du sort réservé aux ouvriers dans l’industrie que la création des caisses de secours mutuel, conduira à la publication par Léon XIII de l’encyclique Rerum Novarum, la première encyclique sociale, en 1891.

« Ah, enfin, il va parler du sujet qu’il doit traiter, la doctrine sociale de l’Eglise », doivent penser certains d’entre vous.
Mais j’en parle depuis le début ! Et si j’ai commencé ainsi, c’est précisément pour vous faire prendre conscience que la doctrine sociale de l’Eglise ne commence pas en 1891.

Ce qui a commencé en 1891, c’est une doctrine sociale mise en forme pour répondre aux erreurs et aux injustices du temps. C’est ainsi que l’Eglise a toujours agi. Dans les premiers siècles, il s’agissait de répondre aux hérésies de la foi. Ici, il s’agissait de répondre aux hérésies économiques et sociales.

Quand tout va bien, l’Eglise n’a pas besoin de définir une doctrine. Au XIIIe siècle, elle n’avait pas besoin d’élaborer une doctrine sociale, puisqu’elle était pleinement vécue dans la société.

Donc, ceci est une première réponse, paradoxale, à la question qui est le thème de mon intervention : « La Doctrine sociale de l’Eglise : référence incantatoire ou source de créativité ? »

Le premier pape à employer l’expression de « doctrine sociale » est Pie XI, dans Quadragesimo anno, l’encyclique qu’il publia pour les 40 ans de Rerum novarum, Et c’est à propos de Rerum novarum qu’il l’emploie. Il cite une phrase de cette encyclique : « C'est l'Église qui puise dans l'Évangile des doctrines capables, soit de mettre fin au conflit, soit au moins de l'adoucir, en lui enlevant tout ce qu'il a d'âpreté et d'aigreur, l'Église qui ne se contente pas d'éclairer l'esprit de ses enseignements, mais s'efforce encore de conformer à ceux-ci la vie et les mœurs de chacun, l'Église qui, par une foule d'institutions éminemment bienfaisantes, tend à améliorer le sort des prolétaires. » Et Pie XI commente : « Ces précieuses ressources, l'Église ne les a pas laissées inemployées, mais elle les a largement exploitées pour le bien commun de la paix tant souhaitée. Par leurs paroles, par leurs écrits, Léon XIII et ses successeurs ont continué à prêcher avec insistance la doctrine sociale et économique de l'encyclique Rerum novarum ; ils n'ont pas cessé d'en presser l'application et l'adaptation aux temps et aux circonstances, faisant toujours preuve d'une sollicitude particulière et toute paternelle envers les pauvres et les faibles dont, en fermes pasteurs, ils se sont fait les défenseurs. »

Donc, avant Rerum novarum, la doctrine sociale ne pouvait pas être une incantation, puisqu’on n’en parlait pas. Et elle était assurément source de créativité, en tout cas au moyen âge, et d’autant plus source de créativité qu’on n’en parlait pas. Cela se faisait tout naturellement. C’est pourquoi je vous ai d’abord cité le propos de L.M. Tisserant : « C’est là le caractère propre des institutions qui dérivent des besoins et des mœurs, et qui sont d’autant plus inséparables de l’état social qu’elles ont pénétré plus insensiblement dans les esprits. »

La question ne se pose donc qu’à partir du XIXe siècle. Et à partir d’un contexte précis : la réaction à la misère ouvrière et aux énormes injustices dues au libéralisme, et la réaction à l’essor du socialisme qui se répand dans la classe ouvrière.

Il s’agissait de ce qu’on appelait la « question sociale ». C’est-à-dire essentiellement des rapports entre les patrons et les ouvriers dans l’industrie. L’encyclique Rerum novarum est un aboutissement du travail des « catholiques sociaux ». Ce n’est pas ici le lieu d’en faire l’histoire. Mais il faut souligner l’importance d’un homme comme Léon Harmel. Bien avant l’encyclique, il met en œuvre dans son usine de filature, près de Reims, ce que sera la doctrine sociale dans le sens où nous en parlons. Il met en place tout un ensemble d’œuvres sociales : mutuelle scolaire, mutuelle sociale, caisse d'épargne, enseignement ménager, service d'escompte, achats en commun, boulangerie coopérative, lectures, jeux, chorale, musique instrumentale, gymnastique, conférence de Saint-Vincent-de-Paul. Toutes ces associations sont gérées par les ouvriers, qui vivent dans une cité ouvrière construite par le patron. En outre le conseil d’usine permet aux ouvriers de participer réellement à la gouvernance de l’entreprise, comme on dit maintenant.

Léon Harmel explique au cardinal Gibbons, l’archevêque de Baltimore qui est venu voir de ses yeux ce qui se passe dans cette usine : « Nos multiples conseils tendent au développement de la personnalité, par la mise en valeur des dévouements et des aptitudes diverses. Ils donnent à chacun une conscience plus nette de ses devoirs et de ses responsabilités, sur le triple terrain religieux, économique et professionnel. Ils préparent des hommes libres, capables de diriger eux-mêmes leurs propres affaires, et les affaires de la collectivité. »

On signalera en passant que Léon Harmel, comme René de La Tour du Pin et Albert de Mun, ressuscite le mot de « corporations » pour désigner ce que seraient de nouvelles associations religieuses et économiques rassemblant patrons et ouvriers.

A partir de 1885, avec Albert de Mun, Léon Harmel organise un « pèlerinage de la France ouvrière », au mois d’octobre. En 1887 ils emmènent plus de 1.400 ouvriers à Rome. En 1889, ils sont 10.000. C’est 18 mois plus tard que Léon XIII publie Rerum novarum. Et, peu après, le pape dira à l’évêque de Carcassonne en parlant de Léon Harmel : « Ce cher fils m’a procuré les meilleurs jours de mon pontificat. »

On voit que pour Léon Harmel la doctrine sociale n’était pas une incantation et était source de créativité, et cela avant même qu’elle soit codifiée.

L’encyclique va inspirer de nombreux patrons chrétiens, en même temps qu’elle va en indigner d’autres, qui croient avoir un pape socialiste.

Mais ce ne sont pas seulement les patrons qui furent inspirés par Rerum novarum. Il y avait aussi des militants chrétiens chez les salariés. En France, les syndicats furent légalisés en 1884, et des syndicats chrétiens virent le jour, qui montèrent notamment des caisses de solidarité au niveau du métier. Ce sont ces syndicats qui formèrent en 1919 la CFTC. Et les caisses de solidarité devinrent très importantes. C’est sur leurs dépouilles que fut créée notre désastreuse Sécurité sociale, à la Libération. L’argent de la Sécurité sociale, au départ, c’est l’argent qui a été volé aux caisses de solidarité chrétienne. On voit ce qu’ils en ont fait.

Des patrons chrétiens avaient mal accueilli Rerum Novarum, de même que certains catholiques sociaux, parce qu’ils étaient marqués par le libéralisme et n’acceptaient pas l’affirmation par le pape que l’Etat a un rôle à jouer dans la justice sociale.

Si l’Etat a un rôle à jouer, c’est que le social n’est pas seulement social. La doctrine sociale a, de ce fait, un aspect politique. Or Léon XIII est aussi le pape du « Ralliement » : les catholiques doivent se rallier à la République, agir au sein des institutions républicaines, a-t-il dit dans son encyclique Au milieu des sollicitudes, un an avant Rerum novarum. A l’époque, la grande majorité des catholiques sont toujours royalistes. Et l’encyclique est très mal reçue, y compris par la plupart des évêques. Mais bon nombre des catholiques sociaux, dont Léon Harmel et Albert de Mun, qui va devenir député, vont envisager la création d’un parti chrétien dans la démocratie républicaine, donc un parti démocrate chrétien.

L’action de Léon Harmel dépassait de loin le cadre de son usine. Il participait à l’Œuvre des cercles catholiques d’ouvriers qu’Albert de Mun avait créée au lendemain de la guerre de 1870 avec René de La Tour du Pin et Maurice Maignen, et il organisait et suscitait lui-même la création de « cercles chrétiens d’études sociales ». En 1893 il organisa un premier et modeste congrès ouvrier à Reims. Au congrès de l’année suivante il y avait 600 participants représentant plus de 160 associations. Son objectif était d’organiser ce qu’il appelait la « démocratie chrétienne », face au socialisme. Il y eut de nouveaux congrès en 1895 et en 1896. Cette année-là, d’autres « démocrates chrétiens » organisèrent un congrès à Lyon : le « congrès national de la démocratie chrétienne ». Le deuxième congrès national de la démocratie chrétienne, toujours à Lyon, en 1897, fut placé sous la présidence d’honneur de Léon Harmel. Déjà, en 1896, il avait été question de transformer le mouvement de démocratie chrétienne en parti politique. Cette fois fut créé un Conseil national de la démocratie chrétienne, pour organiser le parti. Léon Harmel fut élu à la présidence du conseil national. Mais le parti n’eut jamais vraiment d’existence, car l’expression démocratie chrétienne avait un sens très différent pour les uns et pour les autres. Et surtout, le pape y mit le holà, comme on va le voir.

Car en 1897, d’autre part, Léon Harmel reprit les pèlerinages d’ouvriers à Rome. Dans son adresse au pape, il sollicita sa bénédiction « pour les associations de patrons et d'ouvriers formées dans l'esprit de l'immortelle encyclique Rerum novarum », et « spécialement pour les bataillons d'avant-garde, pour les groupes de la démocratie chrétienne qui ont ici de nombreux représentants ». Dans sa réponse, Léon XIII se garda d’employer le mot de démocratie, et souligna le rôle de la hiérarchie ecclésiastique (à l’adresse des nombreux prêtres qui participaient à la démocratie chrétienne).

Au pèlerinage de l’année suivante, Léon Harmel présenta de façon plus précise et plus prudente ses pèlerins comme « le germe d’une démocratie chrétienne, qui, conçue et entendue dans son vrai sens catholique, ramènerait dans le sein de l’Eglise les foules que le socialisme révolutionnaire en avait éloignées ». Cette fois, Léon XIII répondit : « Si la démocratie s’inspire aux enseignements de la raison éclairée par la foi ; si, se tenant en garde contre de fallacieuses et subversives théories, elle accepte, avec une religieuse résignation et comme un fait nécessaire, la diversité des classes et des conditions ; si, dans la recherche des solutions possibles aux multiples problèmes sociaux qui surgissent journellement, elle ne perd pas de vue les règles de cette charité surhumaine que Jésus-Christ a déclarée être la note caractéristique des siens ; si, en un mot, la démocratie veut être chrétienne, elle donnera à votre patrie un avenir de paix, de prospérité et de bonheur. Si, au contraire, elle s'abandonne à la révolution et au socialisme; si, trompée par de folles illusions, elle se livre à des revendications destructives des lois fondamentales sur lesquelles repose tout l'ordre civil, l'effet immédiat sera, pour la classe ouvrière elle-même, la servitude, la misère et la ruine. Loin de vous, très chers fils, une pareille et aussi sombre perspective. Fidèles à votre baptême, c'est à la lumière de la foi que vous jugez et appréciez les choses de cette vie, vrai pèlerinage du temps à l'éternité. »

Cette réponse de Léon XIII est importante, car elle dit déjà l’essentiel de ce que sera son encyclique Graves de communi, qui sera publiée le 18 janvier 1901. Cette encyclique est aujourd’hui totalement oubliée, mais à l’époque elle eut un retentissement considérable, et pour les catholiques sociaux elle fut comme le pendant politique indissociable de Rerum novarum. Dans ce texte, Léon XIII soulignait les fruits abondants de Rerum novarum, et examinait les dénominations que se donnaient les militants catholiques sociaux. Il prenait acte du fait que l’expression « démocratie chrétienne » était désormais couramment utilisée, et il décidait d’en préciser le sens, par opposition à ce que l’on appelait alors la « démocratie sociale », c’est-à-dire le socialisme.

Voici le cœur de l’encyclique :
« Il serait condamnable de détourner à un sens politique le terme de démocratie chrétienne. Sans doute, la démocratie, d'après l'étymologie même du mot et l'usage qu'en ont fait les philosophes, indique le régime populaire ; mais, dans les circonstances actuelles, il ne faut l'employer qu'en lui ôtant tout sens politique, et en ne lui attachant aucune autre signification que celle d'une bienfaisante action chrétienne parmi le peuple. En effet, les préceptes de la nature et de l'Evangile étant, par leur autorité propre, au-dessus des vicissitudes humaines, il est nécessaire qu'ils ne dépendent d'aucune forme de gouvernement civil ; ils peuvent pourtant s'accommoder de n'importe laquelle de ces formes, pourvu qu'elle ne répugne ni à l'honnêteté ni à la justice. »

Après un appel au respect des autorités civiles et religieuses, il ajoutait : « Nous espérons voir disparaître tous les dissentiments relatifs au terme de démocratie chrétienne et s'évanouir tous les soupçons de danger, quant à la chose elle-même exprimée par ce mot. »

L'encyclique Graves de communi eut pour effet immédiat de couper court à toute velléité de constitution d’un parti démocrate chrétien, en France, mais aussi en Italie ou en Allemagne.

Léon XIII n’est toutefois pas au bout de ses peines. Car en ces années-là apparaît un autre mouvement, le Sillon, de Marc Sangnier, qui va fédérer de nombreux démocrates chrétiens, en prenant l’expression dans le sens désavoué par Léon XIII. D’ailleurs le Sillon ne se dit pas catholique, mais républicain et démocrate. Au départ, le Sillon est comme un poisson dans l’eau dans le vaste conglomérat démocrate chrétien. S’appuyant sur les patronages, il émerge rapidement et devient une très grande organisation. Il aura près de 500.000 membres.
Au congrès de 1905, près de mille cercles d’études de ses Instituts populaires sont représentés.

Au début, Rome, dont la continuité est incarnée en ces années-là par le cardinal Merry del Val, secrétaire d’Etat de Léon XIII puis de saint Pie X, encourage Marc Sangnier, qui paraît œuvrer lui aussi dans le sillage de Rerum novarum. Mais il apparaît bientôt que le Sillon dévie dangereusement de la ligne catholique. Dans les premières années de son pontificat, saint Pie X temporise, d’une part parce qu’il pense que ces jeunes gens bouillonnants vont s’assagir, d’autre part parce que les évêques français sont très partagés sur la question. En outre, le problème de la loi de 1905 est, dans l’immédiat, bien plus grave que celui que pose Marc Sangnier. Mais, en 1910, saint Pie X frappe du poing sur la table, et condamne le Sillon dans sa lettre Notre charge apostolique.

C’est dans cette lettre apostolique que figure ces phrases célèbres que j’ai déjà citées :

« Non, Vénérables Frères, – il faut le rappeler énergiquement dans ces temps d’anarchie sociale et intellectuelle où chacun se pose en docteur et en législateur, – on ne bâtira pas la cité autrement que Dieu ne l’a bâtie ; on n’édifiera pas la société, si l’Église n’en jette les bases et ne dirige les travaux ; non, la civilisation n’est plus à inventer, ni la cité nouvelle à bâtir dans les nuées. Elle a été, elle est ; c’est la civilisation chrétienne, c’est la cité catholique. Il ne s’agit que de l’instaurer et la restaurer sans cesse sur ses fondements naturels et divins contre les attaques toujours renaissantes de l’utopie malsaine, de la révolte et de l’impiété : omnia instaurare in Christo. »

Ce paragraphe est en quelque sorte la conclusion d’une longue introduction où Pie X rappelle les espoirs qu’on pouvait placer dans le Sillon, et doit constater que les chefs du Sillon « ont ouvertement rejeté le programme tracé par Léon XIII et en ont adopté un diamétralement opposé ». En fait, ils ne se fondent plus du tout sur la doctrine catholique, mais sur les principes de la Révolution française et ceux d’un vague socialisme utopique.

C’est aussi dans cette encyclique que saint Pie X écrit :

« Nous n’avons pas à démontrer que l’avènement de la démocratie universelle n’importe pas à l’action de l’Église dans le monde ; nous avons déjà rappelé que l’Église a toujours laissé aux nations le souci de se donner le gouvernement qu’elles estiment le plus avantageux pour leurs intérêts. Ce que nous voulons affirmer encore une fois, après notre prédécesseur, c’est qu’il y a erreur et danger à inféoder, par principe, le catholicisme à une forme de gouvernement ; erreur et danger qui sont d’autant plus grands lorsqu’on synthétise la religion avec un genre de démocratie dont les doctrines sont erronées. Or c’est le cas du Sillon ; lequel, par le fait, et pour une forme politique spéciale, en compromettant l’Église, divise les catholiques, arrache la jeunesse et même des prêtres et des séminaristes à l’action simplement catholique et dépense, en pure perte, les forces vives d’une partie de la nation. »

Et Saint Pie X n’omet pas de souligner l’insupportable attitude des sillonnistes qui, au moment où l’Eglise est attaquée et dépouillée par la République française, restent, dit-il, « les bras croisés ».

Cette encyclique va sonner le glas du Sillon, car il ne bénéficiera plus d’aucun appui ecclésiastique. Le mouvement s’autodissout, et la suite va montrer à quel point saint Pie X avait raison. En 1912, Marc Sangnier fonde le mouvement Jeune République, qui en 1936 va s’associer au Front populaire, puis en 1957 fusionner avec deux partis de gauche pour former l’Union de la gauche socialiste, qui deviendra ensuite une composante du parti socialiste unifié, le PSU, qui toute son existence sera écartelé entre gauchistes et socialistes.

Quant à Marc Sangnier lui-même, il est fait président d’honneur du MRP, qui se constitue en 1944, et se fait élire sous l’étiquette MRP l’année suivante.

Le MRP, mouvement républicain populaire, est un parti démocrate chrétien qui ne dit pas son nom. C’est typiquement le parti démocrate chrétien dont Léon XIII ne voulait pas. Car si les papes ont jugulé la dérive en 1901 et en 1910, la mauvaise démocratie chrétienne a néanmoins survécu, et a même fini par triompher. C’est elle aussi que l’on a vu, par exemple, laïciser et gauchiser la CFTC pour en faire la CFDT.

Au même moment, dans son message de Noël 1944, Pie XII s’attachait à définir ce qu’est « une saine démocratie fondée sur les principes immuables de la loi naturelle et des vérités révélées ». Une démocratie qu’il oppose à l’absolutisme d’Etat. L’absolutisme d’Etat, dit-il, « consiste dans le principe erroné que l'autorité de l'Etat est illimitée, et qu'en face d'elle, même quand elle donne libre cours à ses vues despotiques en dépassant les frontières du bien et du mal, on n'admet aucun appel à une loi supérieure qui oblige moralement ». Dans Evangelium vitae, Jean-Paul II soulignera également que la démocratie « s’achemine vers un totalitarisme caractérisé » quand elle ne s’appuie plus sur la loi morale qui exprime la vérité de la personne humaine : « La valeur de la démocratie se maintient ou disparaît en fonction des valeurs qu’elle incarne et promeut. (...) Le fondement de ces valeurs ne peut se trouver dans des majorités d’opinion provisoires et fluctuantes, mais seulement dans la reconnaissance d’une loi morale objective qui, en tant que loi naturelle inscrite dans le cœur de l’homme, est une référence normative pour la loi civile elle-même. »

Il y a une continuité parfaite entre le message de Noël 1944 et Evangelium vitae, et avec Benoît XVI quand il dénonce la « dictature du relativisme ».

A propos d’Evangelium vitae, comme vous le savez, il s’agit d’une encyclique sur la culture de mort. Les questions du respect de la vie font naturellement partie, elles aussi, de la doctrine sociale. Ainsi Humanae vitae est également une encyclique de doctrine sociale. Humanae vitae est aussi une encyclique sur la famille. Et la question de la famille fait partie intégrante de la doctrine sociale, et même de façon éminente, puisque la famille est la cellule de base de la société. De ce fait, tout l’enseignement des papes sur la famille, par exemple l’encyclique Casti connubii de Pie XI ou Familiaris consortio de Jean-Paul II, font partie intégrante de la doctrine sociale de l’Eglise.

Pie XII, en 1944, exhorte les catholiques à s’engager pour construire, sur les décombres de la guerre, une saine démocratie, afin d’éviter, je cite, que « d'autres viennent occuper leur place pour faire de l'activité politique l'arène de leur ambition, une course au gain pour eux-mêmes, pour leur caste ou pour leur classe, et c'est ainsi que la chasse aux intérêts particuliers fait perdre de vue et met en péril le vrai bien commun ».

Bref, la démocratie chrétienne, ainsi encouragée par le pape, va fleurir un peu partout, avec l’appui de Rome. Certains de ces partis vont être réellement catholiques, surtout ceux qui s’intitulent « chrétiens-démocrates » plutôt que « démocrates-chrétiens ». Certains d’entre eux le sont encore, comme le parti chrétien-démocrate slovaque, ou la nouvelle démocratie chrétienne italienne, même s’ils sont par ailleurs européistes. La plupart vont dériver vers la fausse démocratie chrétienne, et devenir des partis républicains et démocrates, sans autre référence, comme le voulait Marc Sangnier. Et le MRP le fut dès l’origine, avant de devenir le Centre démocrate, et l’UDF, puis le Nouveau Centre, que rien ne distingue du RPR. La démocratie chrétienne s’est sécularisée, comme le voulait Marc Sangnier, et s’est installée à gauche, comme il le voulait aussi. Si le Sillon est oublié depuis longtemps, il a pourtant gagné la partie.

J’ai déjà évoqué la CFTC, transformée en CFDT en 1964, perdant sa référence chrétienne et virant à gauche. La CFTC a été héroïquement maintenue par une poignée de militants qui refusaient de la saborder, mais elle-même ne sait plus trop ce qu’il en est de ses références chrétiennes. Déjà, en 1947, la référence, dans l’article premier des statuts, à la « doctrine sociale définie dans l’encyclique Rerum novarum » était devenue une référence à la « morale sociale chrétienne ». On se mit en effet à évoquer une vague morale sociale pour ne plus avoir à parler d’une doctrine sociale dont on ne voulait plus. Et là je ne parle pas de la seule CFTC, mais de tout l’appareil ecclésiastique français. Un personnage emblématique de cette évolution est Jacques Delors. Il fut d’abord syndicaliste CFTC. Il écrit des textes d’inspiration marxiste qui le font remarquer de la direction de la CFTC dont il devient expert économique. C’est au début des années 60. On comprend pourquoi la CFTC est devenue la CFDT... Il devient membre du mouvement chrétien de gauche Vie nouvelle, et membre aussi du PSU. Et, après avoir inventé la prétendue « nouvelle société » de Jacques Chaban-Delmas, il adhère au parti socialiste. Or c’est cet homme-là qui sera invité à plusieurs reprises par les évêques de France, par les évêques européens de la COMECE, ou par les Semaines sociales de France, comme le grand représentant de la morale sociale chrétienne : celle qui a évacué la doctrine sociale de l’Eglise. Et comme Jacques Delors est aussi l’un des plus éminents pères de l’Union européenne - il est président de la Commission européenne de 1985 à 1995 - c’est lui aussi qui va insuffler une morale sociale dévoyée dans l’Union européenne. En 1990 on pouvait lire dans la revue Esprit : « Jacques Delors lance un nouveau chantier européen, celui de la superstructure politique qui régira selon le principe de subsidiarité la communauté européenne ». C’est ainsi que le principe de subsidiarité, dont personne ne sait ce que c’est, bien sûr, à Bruxelles, ou dans les chancelleries européennes, ou dans les médias, va être inscrit noir sur blanc dans le traité européen via le traité de Maastricht. Cela aurait pu être une grande victoire de la doctrine sociale de l’Eglise. Mais ce que Jacques Delors, et son complice en l’occurrence, Valery Giscard d’Estaing, appelaient principe de subsidiarité, et qu’ils ont inscrit dans le traité, est exactement le contraire du principe de subsidiarité tel que le définit la doctrine sociale de l’Eglise depuis Quadragesimo anno. Le vrai principe de subsidiarité, c’est que l’échelon supérieur n’a pas à interférer dans les affaires d’un échelon inférieur, sauf si cet échelon a besoin d’aide ou a besoin de l’échelon supérieur pour fonctionner : l’échelon supérieur a un rôle subsidiaire. Dans le traité européen, c’est le contraire : ce qu’il appelle la subsidiarité, c’est que les institutions européennes définissent leurs champs de compétence, et laissent le reste aux Etats membres. Un reste qui, bien entendu, va se réduire de traité en traité, et de directive en directive.

Tout cela pour dire que la doctrine sociale de l’Eglise ne peut se cantonner à la question ouvrière. Qu’elle le veuille ou non, elle a forcément un aspect politique. On a vu ainsi que l’encyclique Graves de communi est étroitement liée à Rerum novarum, et que la lettre Notre charge apostolique, condamnant le Sillon, est également un texte social.

Il en sera de même des encycliques de Pie XI. Si Quadragesimo anno est l’encyclique qui actualise Rerum novarum et définit plus précisément les principes de la doctrine sociale, notamment le principe de subsidiarité, il n’en demeure pas moins qu’une encyclique comme Divini redemptoris, qui condamne le communisme, est également, et même de façon éminente, une encyclique sociale.

D’autre part, on constate que les principes de la doctrine sociale, une fois déterminés et définis, s’appliquent à des domaines qui dépassent la question sociale proprement dite. La dignité de la personne humaine, le bien commun, la subsidiarité, la destination universelle des biens, la solidarité, cela s’applique à de nombreux domaines, y compris sur le plan mondial.

Dans son message de Noël 1944, Pie XII passait tout naturellement de la définition de la saine démocratie à un enseignement sur la paix des nations. Car, disait-il, « les représentants et les pionniers de la démocratie » doivent être convaincus « que l'ordre absolu des êtres et des fins implique aussi, comme exigence morale et comme couronnement du développement social, l'unité du genre humain et de la famille des peuples ».

Et il ajoutait : « Il n'y a qu'un moyen de sortir du réseau embrouillé dans lequel la lutte et la haine ont enlacé le monde, c'est-à-dire le retour à une solidarité trop longtemps oubliée, à une solidarité qui ne se limite pas à tels ou tels peuples, mais qui soit universelle, fondée sur la connexion intime de leurs destinées et sur les droits qui appartiennent également à chacun d'eux. »

Pour les 70 ans de Rerum novarum et les 30 ans de Quadregesimo anno, Jean XXIII publie son encyclique Mater et Magistra, où il cite également, et longuement, le radio-message de Pie XII pour le cinquantenaire de Rerum novarum, à la Pentecôte 1941. Dans la troisième partie de cette encyclique dédiée à la doctrine sociale, il évoque les injustices sociales sur le plan international, notamment le problème des pays sous-développés.

En 1971, Paul VI lui aussi paiera son tribut à Rerum novarum par la lettre apostolique Octogesima adveniens, pour le 80e anniversaire de l’encyclique, comme son nom l’indique. On constate que Paul VI cite Mater et Magistra, ainsi que sa propre encyclique Populorum progressio, en ces termes : « Aujourd’hui, disions-Nous, le fait majeur dont chacun doit prendre conscience est que la question sociale est devenue mondiale. »

Jean-Paul II publie son encyclique sur le travail, Laborem exercens, pour les 90 ans de Rerum novarum. Puis Centesimus annus pour le 100e anniversaire. Dans Centesimus annus, Jean-Paul II, après avoir rappelé la valeur permanente de Rerum novarum, scrute les choses nouvelles d’aujourd’hui. Et lui aussi évoque les questions internationales, notamment en relation avec l’effondrement du système communiste, qui vient alors d’avoir lieu. Et il cite Populorum progressio, et sa propre encyclique Sollicitudo rei socialis, écrite en 1987 pour le 20e anniversaire de Populorum progessio.

Enfin voici Caritas in veritate, l’encyclique sociale de Benoît XVI, écrite pour les 40 ans de Populorum progressio. La référence à Populorum progressio est importante. Non pas quant au contenu de cette encyclique, qui est d’une indigence rare, mais en ce que, comme le soulignait Paul VI, le fait majeur dont chacun doit prendre conscience aujourd’hui est que la question sociale est devenue mondiale.

Caritas in veritate est une gigantesque encyclique. Benoît XVI a voulu reprendre toute la doctrine sociale de l’Eglise. Mais ce qui a frappé les observateurs est précisément ce qu’il dit de la mondialisation de la doctrine sociale. Je ne vais pas revenir ici sur la question de la gouvernance mondiale. Ce sujet a donné lieu à un débat animé, dont je garde un excellent souvenir, l’an dernier à Salérans, et dont la substantifique moelle a été publiée dans Reconquête. Toutefois, ce qui était au centre du débat est bien la question initiale de cette conférence : « La Doctrine sociale de l’Eglise : référence incantatoire ou source de créativité ? » Et c’est bien à cela, je suppose, que pensait Bernard Antony quand il m’a donné à traiter ce thème.

Quand il s’agit de ce qui dépend directement de nous, à notre niveau, dans notre vie quotidienne, la doctrine sociale de l’Eglise peut être, sans conteste, source de créativité. Car il ne s’agit pas de reformer les corporations du moyen âge, il ne s’agit pas de ressusciter la civilisation chrétienne telle qu’elle fut. Et ici, il faut faire attention de ne pas donner à la lettre Notre charge apostolique de saint Pie X une interprétation passéiste, même si, il faut bien le dire, le texte paraît y inciter. Lorsque saint Pie X dit que « la civilisation n’est plus à inventer, ni la cité nouvelle à bâtir dans les nuées », car « elle a été, elle est ; c’est la civilisation chrétienne, c’est la cité catholique », il parle avant la Première Guerre mondiale. C’est un temps où, en de nombreux endroits de la vieille chrétienté occidentale, cette chrétienté existe toujours. En effet, dans les campagnes françaises et européennes, cette chrétienté, elle est. Et ce que l’on appelle alors la démocratie chrétienne, dans ce qu’elle a de meilleur, vise à instaurer la chrétienté dans le monde industriel. Or, aujourd’hui, il n’en est plus ainsi. Qu’on le veuille ou non, la civilisation chrétienne, la cité catholique, n’existe plus. Il n’en reste que quelques vestiges sociologiques, quelques bribes éparses d’une ancienne imprégnation chrétienne.

La doctrine sociale de l’Eglise, quand elle parle de ce qui nous concerne directement, est assurément une source de créativité, car il s’agit de reconstruire une société chrétienne. Cela se fait dans la famille, dans le métier, dans les associations les plus diverses, et aussi dans les mouvements politiques. Il ne dépend que de nous de la vivre et de la faire vivre. Ce qui ne laisse la place à aucune incantation. C’est du reste une caractéristique fondamentale de la doctrine sociale de l’Eglise telle qu’elle fut tracée par Rerum novarum et Quadragesimo anno : la doctrine sociale de l’Eglise est éminemment pratique. Plus exactement, elle n’existe que pour être mise en pratique.

Mais là où ça devient beaucoup plus difficile, c’est quand la doctrine sociale de l’Eglise quitte la sphère de la société dont les hommes et les femmes sont les agents directs pour prendre en compte les problèmes internationaux, et la mondialisation. Cette évolution est pourtant inévitable, car la mondialisation est un fait, et en outre la doctrine sociale de l’Eglise a vraiment son mot à dire, elle qui a posé en principe la destination universelle des biens, l’option préférentielle pour les pauvres, et d’abord le bien commun. Or il y a des biens communs universels, comme la santé et l’éducation, l’eau ou l’énergie.

Mais si je peux avoir une influence dans le domaine familial, dans le domaine du métier (encore que ce ne soit pas évident dans une multinationale), dans le domaine associatif ou politique, les questions internationales nous passent largement au-dessus de la tête. Et là, la doctrine sociale de l’Eglise peut être vue, en effet, comme une incantation. Ce que je dis sur le plan de l’action personnelle est encore plus vrai sur le plan de l’Eglise. Quand Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul II, et aujourd’hui Benoît XVI, expliquent ce qu’il faut faire au niveau mondial, quand on voit que l’influence réelle, concrète, de l’Eglise sur la vie du monde est à peu près égale à zéro, on peut se dire à juste titre que ce ne sont que des incantations.

Cela dit, on doit se poser la question : est-ce que l’Eglise a le choix ? Et la réponse est non. Au contraire, l’Eglise a le devoir de proposer sa doctrine sociale, et elle a le devoir de continuer d’élaborer sa doctrine sociale en fonction du monde dans lequel elle vit. La doctrine sociale pour une planète mondialisée est une nécessité doctrinale. Il suffit de voir, par exemple, le plan du Compendium de la doctrine sociale réalisé par le Conseil pontifical Justice et Paix en 2004 : le dessein d’amour de Dieu pour l’humanité, la mission de l’Eglise, les principes de la doctrine sociale, la famille, le travail, la vie économique, la politique, la communauté internationale, la promotion de la paix. Cet ordre est logique, inéluctable.

Il est significatif que lorsque le Compendium dit que « la question sociale, qui se manifeste aujourd'hui sous une dimension mondiale, concerne les aspects sociaux, politiques et économiques et, surtout, la dimension structurelle des problèmes et des solutions qui s'y rattachent », il se réfère explicitement au radio-message de Noël 1944 de Pie XII. S’il y a incantation, ce n’est pas nouveau.

Ce qu’il faut voir aussi, c’est que ce qui paraît référence incantatoire à une époque peut devenir source de créativité, ou tout simplement référence vitale. On ne doit pas oublier que l’Eglise a une fonction prophétique. Lorsque Pie XI définissait le principe de subsidiarité, cela pouvait passer pour une incantation, d’autant plus que l’expression était incompréhensible pour le plus grand nombre. Pourtant ce principe a été fécond, et il a été, et il est, réellement appliqué dans de nombreuses entreprises, même si ceux qui le mettent en œuvre n’en connaissent pas toujours la théorie. Le principe de subsidiarité aurait pu, aurait dû, être le principe de la construction européenne, d’une authentique construction européenne, si le processus n’avait pas été vicié dès l’origine, puis à Maastricht, par des démocrates chrétiens dévoyés. Lorsque l’encyclique Humanæ vitæ a été publiée, elle a été reçue comme une incantation, et une incantation déconnectée des réalités, non seulement dans la société déchristianisée, mais aussi par nombre d’évêques et de très nombreux prêtres. Or aujourd’hui des voix s’élèvent pour saluer le caractère prophétique de cette encyclique. Prophétique parce qu’on commence à comprendre que Paul VI défendait la vérité et la réalité de l’amour humain, dont on voit comment il a été dévalué par la contraception et tout ce qu’elle implique. Mais prophétique, aussi, même sur le plan scientifique, car on ne plaisante plus désormais sur ses mises en garde concernant les effets de la pilule contraceptive sur la santé des femmes et sur l’environnement. C’est l’OMS aujourd’hui qui dit que la pilule peut avoir des effets cancérigènes. Et des études montrent que la dispersion des hormones dans l’environnement, notamment les cours d’eau, a un effet catastrophique.

Ainsi, avant de parler de référence incantatoire, il convient d’être très prudent. Lorsque Benoît XVI parle de gouvernance mondiale subsidiaire, dans un monde en partie gouverné par la dictature du relativisme et en partie gouverné par la dictature de l’islam, cela peut paraître totalement utopique. Mais nul ne sait ce qui se passera demain. Après tout, il y eut, il y a 2.000 ans, en Galilée, un petit rabbin dont les prêches passaient aux yeux du plus grand nombre pour des incantations sans lendemain…


















Parmi ces patrons représentatifs du christianisme social, j’aime à en citer un que l’on n’évoque pas lorsqu’on parle de cette histoire, c’est René Bolloré. Chez moi, en Bretagne. Il faudrait en fait parler de la dynastie Bolloré. Les papeteries Bolloré ont été créées en 1822 à Ergué-Gabéric, près de Quimper. Elles deviennent un groupe en 1893, quand René Bolloré installe une seconde usine près de Scaër. C’est lui qui lance la fameuse marque de papier à cigarettes OCB et qui créera le papier bible, dérivé du papier à cigarettes, dont le groupe Bolloré est toujours le premier producteur mondial. Papier bible : papier pour imprimer la Bible. La famille Bolloré est profondément catholique, et René Bolloré améliore la politique sociale que menait déjà son père. Son fils, qui s’appelle également René, construit une cité ouvrière pour ses salariés. C’était (c’est toujours) de vraies maisons en pierre, mitoyennes, le long de la route qui mène à l’usine. Je me souviens très bien, étant enfant, être allé dans une de ces maisons, parce que mon père rendait visite à son assistante qui s’était mariée avec un ouvrier de chez Bolloré. Alors que je ne connaissais rien à tout cela, naturellement. Mais j’étais stupéfait de voir qu’un patron avait construit de telles maisons pour y loger gratuitement ses ouvriers. René Bolloré II avait également institué des caisses de retraite et des caisses d’allocations pour les malades. En 1921, il construisit une chapelle au cœur même de l'usine d’Ergué-Gabéric, tandis qu'à Cascadec il remonta à l'entrée de l'usine une chapelle qu’il était allé chercher à plusieurs dizaines de km de là ; la messe y était célébrée quotidiennement. En 1926 il créa un patronage rapidement devenu célèbre dans la région, les Paotred dispount. Et en 1930 il bâtit deux écoles, où tout était gratuit pour les enfants de ses ouvriers.
Aujourd’hui, le groupe Bolloré est un empire international, dirigé par Vincent Bolloré, l’ami de Sarkozy. Mais le côté bling-bling de cette amitié ne doit pas occulter ce qui reste de la tradition familiale. Lorsque Vincent Bolloré a créé son journal gratuit, Direct Soir, il a voulu qu’il y ait une rubrique sur le saint du jour. Il savait pourtant qu’il se ferait moquer de lui dans le monde de la presse, et ça n’a pas raté. Mais il a tenu bon. Et lorsqu’il a lancé sa chaîne de télévision, Direct 8, il a voulu qu’il y ait une émission catholique hebdomadaire. Une émission qu’il a confiée à un jeune journaliste catholique, Hadrien Lecoeur, et qui détonne dans le monde de la télévision. Car pour parler des sacrements on y invite l’abbé de Tanoüarn, et pour parler des bénédictins le père abbé du Barroux… Elle s’appelle « Dieu merci ! », avec un point d’exclamation, et comme vous le voyez elle est hautement recommandable.

Le 5 mai dernier, Vincent Bolloré fêtait à Ergué-Gabéric, près de Quimper, dans le château construit par son grand-père, ses 30 ans à la tête du groupe. Il a annoncé la création de 350 emplois sur place, grâce à ce qui sera, dit-on, le plus grand investissement privé en Bretagne : 250 millions d’euros, pour produire des batteries au lithium, alors qu’on lui prêtait l’intention d’agrandir l’usine de batteries qu’il a déjà au Canada. Quelques jours plus tard, le directeur général des usines Bolloré d’Ergué-Gabéric faisait savoir que chez lui la crise était terminée, qu’il était débordé de commandes, que le chiffre d’affaires avait augmenté de 25% depuis le début de l’année. Il expliquait ainsi ce phénomène : il y a le savoir-faire Bolloré et des employés qui n'hésitent pas à « retrousser leurs manches » pour produire de la qualité, et « des clients déçus par des produits achetés en Asie nous reviennent » On voit qu’il reste quelque chose de l’esprit Bolloré d’antan.
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Doctrine Sociale de l'Eglise - Actualités et Innovations Empty Re: Doctrine Sociale de l'Eglise - Actualités et Innovations

Message par Her Jeu 4 Aoû - 8:54

http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/2011/08/colloque-sur-la-finance.html

01 août 2011

Colloque sur la finance

Dans le cadre du G 20, l'observatoire sociopolitique du diocèse de Fréjus organise un colloque à l'abbaye de Leyrins, les 22 et 23 octobre 2011 :

Promoteur de la doctrine sociale de l’Eglise dans tous les domaines du champ sociopolitique, l’Observatoire sociopolitique du diocèse de Fréjus-Toulon (OSP) associé avec les spécialistes de l’Association des Economistes Catholiques (AEC) désire saisir cette opportunité pour organiser un colloque en préalable de la réunion du G20. Animé par des universitaires, des hommes politiques et des acteurs du monde économique rassemblés par l’AEC, il abordera les thèmes centraux du rassemblement du G20, que sont la réforme des systèmes monétaires, la régulation financière et la volatilité des prix des matières premières. Un focus particulier sera fait également sur les théories de réforme du système bancaire dites « créditistes ». En présence de Mgr Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon, M. Jacques Bichot, professeur des universités et membre honoraire du conseil économique et social, M. Pierre de Lauzun, directeur général délégué de la Fédération Française des banques et Délégué Général de l’Association Française des Marché Financiers, M. Nikolay Gertchev, de la Commission européenne s’exprimeront. L’audience visée est constituée de spécialistes financiers et non financiers, de représentants de partis et d’hommes politiques, de journalistes, d’élèves de grandes écoles ou d’universités.

Pour plus de renseignements, envoyez un mail à ospcolloque.economie@gmail.com.

Posté le 1 août 2011 à 10h53 par Michel Janva
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